HISTOIRES D’ENSEIGNES (5) - du 23 AOÛT 2015 (J+2440 après le vote négatif fondateur)

Un petit vent de mélancolie est passé sur la fin de notre précédent épisode. Du coup, les ardeurs en ont été refroidies. Alors, vite, avant que notre inspiration ne se fige, il faut en terminer avec cette histoire d’enseignes. En terminer ? Mais c’est fait, puisqu’on connaît déjà la fin des fins ! Alors à quoi bon écrire encore ?

Foin d’aquoibonisme ! Il est difficile de trouver des raisons de renoncer à écrire, quand on vit dans un monde où un journal local faisait encore, il y a peu, une pleine page sur les malheurs de « Bécassine au pays des poubelles » (le titre est de nous), scénario tiré des réseaux sociaux et chanson de geste électronique d’une conscience écologique, suivi plus récemment encore, toujours sur un scénario tiré des réseaux sociaux, de « Tintin à la piscine ». Logiquement, à suivre la tendance sur les réseaux sociaux, on pourrait s’attendre à un épisode « Pierre Tombal fait son foin ». Un bon point cependant pour notre feuille quotidienne, à propos de ce retour inopiné de Don Camillo qui a ravivé nos vieux souvenirs de petit chanteur des fifties. L’aggiornamento est en marche ! Et la marche, dirait le Docteur, c’est bon pour le cœur !

Non nobis Domine, non nobis…Une pointe de nostalgie vient me serrer le cœur ! C’est qu’il m’est impossible à présent de rentrer dans l’aube blanche et que mon minois de gamin s’est enfui bien loin, ne me laissant que le souvenir des refrains en latin… Alors, sur le conseil de Claudi, évadons-nous vers le pays du rêve, ce recyclage salutaire des déchets psychiques que n’a pas encore conquis le tri sélectif moral et qui mêle allègrement, dans sa mixité baroque, le meilleur et le pire.

Jean Paul (Richter) est connu pour avoir écrit, sinon fait, des rêves délicieux ou tragiques. Après lui avoir emprunté un petit souffle rafraîchissant de cette mélancolie qui rend modeste, suivons le, à présent et pour un instant, sur les sentiers du rêve.

Le soir tombait sur Niederziwweldorf, un vent léger d’automne agitait les enseignes du vieux bourg : l’aigle, l’étoile, le grand cerf, le chapeau rouge, le lion d’or, le sauvage, la pensée et tous les autres cliquetaient au bout de leurs potences. On allumait déjà les réverbères et, aux vitrines des boutiques, on accrochait les volets de bois. La brume montait de la Tochter et, là-haut, Oberziwweldorf rougeoyait aux dernières lueurs du couchant. À l’Hôtel de ville, au pied du clocher à bulbe, une lumière venait de s’allumer, celle du bureau de Herr Bürgermeister.

Herr Bürgermeister était fatigué, les aigles noirs du papier peint volaient devant ses yeux et le portrait du Kaiser semblait lui lancer un regard plein de reproche. Écartant d’un geste las ses dossiers, il décida de s’accorder enfin un moment de détente. S’étant dirigé vers l’armoire Biedermeyer, il en retira, l’air satisfait… le dernier numéro de Toni, l’almanach de son ami Herr Doktor Meissner. Ce n’était pas encore le numéro de l’inauguration, celle-ci n’ayant pas encore eu lieu, mais c’était le dernier avant cette inauguration que, tout comme son ami Herr Doktor Meissner, Herr Bürgermeister attendait avec tant d’impatiente fébrilité.

Herr Bürgermeister était fatigué, la lecture, pourtant passionnante, de Toni ne produisait pas l’effet escompté, Herr Bürgermeister bâillait, Toni dansait sur les pages. De guerre lasse, Herr Bürgermeister feuilleta fébrilement l’almanach comptant y trouver un remède à son assoupissement. Mais de remède, il n’en trouva point ! Les enseignes répertoriées dans l’almanach aux couleurs criardes se mirent alors à entamer, sous les yeux rougis de Herr Bürgermeister, une farandole d’enfer, et il s’endormit.

Et le rêve commença. Le carillon sonnait au clocher à bulbe, les enseignes cliquetaient sous un ciel gris. Herr Bürgermeister arpentait rapidement la place déserte, balançant les bras comme au défilé. Même en rêve, il se sentait pressé dans ce bourg où, pourtant, il aurait dû flâner, échangeant quelques propos souriants à chaque coin de rue. D’où lui venait cette hâte ? D’un danger imminent ? Les vieilles enseignes, oui c’était bien ça, les vieilles enseignes ! Autant d’épées de Damoclès ! Et rouillées en plus ! Il valait mieux s’en tenir éloigné, si l’une d’elles venait à tomber ! Pas question de s’attarder, de flâner, et surtout pas d’entrer, ça c’était bon pour les touristes ! L’étroitesse des rues, liée à la menace des vieilles enseignes semblait l’oppresser, de cette oppression terrible des rêves !

Et comme toujours, dans ce rêve qu’ Herr Bürgermeister avait déjà fait maintes fois, le miracle survenait. Herr Bürgermeister arrivait enfin en vue d’une longue et large avenue qui montait vers les hauteurs d’Oberziwweldorf. Au pied de l’avenue, un tramway rutilant l’attendait, que conduisait son ami Herr Doktor Meissner. Prestement il y montait, avec un petit saut de côté presque élégant. Tout ému par le signal du départ, il arrangeait fébrilement sa cravate et demandait crânement : « Un ticket pour la station « Inauguration » ! ». Le conducteur se retournait alors et lui répondait avec un immense sourire : « Pour vous, bien entendu, ce sera gratuit Herr Bürgermeister ! ». Alors, détendu, souriant et enfin rassuré, loin des vieilles enseignes, Herr Bürgermeister s’asseyait voluptueusement dans le fauteuil pullman. Puis, le regard rivé vers les hauteurs d’Oberziwweldorf, il imaginait déjà son arrivée là-haut, quand, au son des fanfares, la grande enseigne lèverait enfin le voile couvrant ses hyper-charmes.

Vous ayant amené jusqu’au seuil de l’hyper-rêve, nous interromprons ici notre histoire d’enseignes que nous dédions aux mémoires conjuguées de Jean Paul et de Hansi, nos courageux et glorieux inspirateurs en des temps difficiles !

HISTOIRES D’ENSEIGNES (5) - du 23 AOÛT 2015 (J+2440 après le vote négatif fondateur)

C.S. Rédacteur de Chantecler,

Auxonne, le 23 août 2015 (J+2440 après le vote négatif fondateur)

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