BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse n° 9 - du 12 novembre 2017 (J+3252 après le vote négatif fondateur)
12 nov. 2017BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse (9) - du 12 novembre 2017 (J+3252 après le vote négatif fondateur)
Nous reprenons la publication de notre grand feuilleton. Mais auparavant, à destination des vrais amis de Bonaparte, rappelons une déclaration de notre adjoint à la Culture, non exempte d’incohérences et d’inexactitudes à propos de l’affaire du PSC du Musée, déclaration qui a été définitivement approuvée au dernier conseil du 09 novembre dernier. C’est ainsi qu’on écrit l’histoire !
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Écrire l’histoire, telle était justement l’ambition de notre Promeneur Solitaire Corse. Comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, Paoli, le Babbu (papa) des Corses, avait pourtant mis un bémol aux ardeurs de l’historien en herbe de son île : « Vous êtes trop jeune pour écrire l’histoire […] Préparez-vous lentement à une telle entreprise par de fortes études […] profitez surtout des conseils de l’abbé Raynal ».
Mais le projet du jeune historien était en route depuis plusieurs années. N’avait-il pas, dès juillet 1786, à la veille de ses dix-sept ans, commandé à Genève les deux derniers volumes de l’Histoire des Révolutions de Corse, de l’abbé Germanes.
Quand il arrive à Auxonne en juin 1788, il a dans ses bagages un fonds documentaire qu’il a rassemblé pour mener à bien sa tâche.
Durant le premier semestre de 1788, le deuxième séjour en Corse de Bonaparte aura été en effet studieux. Il a été mis à profit pour faire une ample moisson documentaire consistant en témoignages et documents écrits, tant manuscrits qu’imprimés.
De cette collecte de matériaux, conservés dans le Fonds Libri, Masson nous laisse un inventaire détaillé (MASSON Frédéric, Napoléon dans sa jeunesse, 1769-1793, Paris, Albin Michel, [1922], pp.174-175). Durant ce même séjour, Bonaparte commence aussi à rédiger ses Lettres sur la Corse (Op.cit., p. 201)
Les sages conseils de Paoli n’avaient dons pas dissuadé notre lieutenant, déjà trop engagé dans sa tâche d’historien et de défenseur de la Corse pour y surseoir.
Sans désemparer, écrivant de son séjour d’Auxonne, il s’enquit aussitôt de l’avis du Père Dupuy, son ancien professeur de lettres de Brienne. Le brave ecclésiastique dut tomber de l’armoire quand il reçut l’explosif manuscrit dont il ne put que souligner le caractère véhément, voire dangereux pour son auteur.
Ainsi dans sa deuxième lettre, adressée à son élève le 1er août 1789, le bon Père écrit : « Je sais qu’il y a des vérités que l’on peut et même que l’on doit dire ; mais il en est aussi qu’il faut taire ou tout au moins beaucoup adoucir. Dans ce dernier cas je ne cesserai de vous crier : de la discrétion ! De la discrétion ! » (IUNG Th., Bonaparte et son temps, 4ème édition, Tome 1, Paris, Charpentier, 1889, p. 202).
Après Paoli, le Père Dupuy, réfrénait donc à son tour les ardeurs du fougueux écrivain.
Un autre problème se posait. La forme adoptée pour son projet d’ouvrage sur la Corse, celle de Lettres sur la Corse imposait de les adresser, pour obtenir quelque chance de succès, à un dédicataire d’importance.
Les manuscrits des projets de 1789 ne nous sont pas parvenus, mais la correspondance avec le Père Dupuy nous renseigne sur ce dédicataire (MASSON Frédéric, Napoléon dans sa jeunesse, 1769-1793, Paris, Albin Michel, [1922], pp.201-211). En effet, le Père Dupuy dans une lettre du 15 juillet 1789 adressée à Bonaparte, transcrit « l’exorde » de son correspondant « en entier, mais avec un peu de différence » (Op.cit., p. 204).
Bonaparte ne s’y exprime pas on son nom propre, mais dans le rôle d’un vieillard « n’espérant plus dans l’avenir qui l’a si souvent trompé […] étendu dans [son] lit et déjà environné par les horreurs de la mort […] vieillard qui pendant quatre-vingts ans d’une vie orageuse, travailla toujours pour le salut de cette trop abandonnée patrie [N.D.L.R. la Corse] » (Op.cit., pp. 204-205).
Inconnu, Bonaparte ne perdait rien à publier anonymement, même sous les traits d’un vieillard imaginaire. Quant à son dédicataire, s’il ne le nomme pas, il précise clairement son profil : « Instruit de nos continuelles disgrâces, vous en serez sans doute vivement touché [N.D.L.R. : des malheurs des Corses] monsieur, vous […] placé auprès du trône […] vous qui dans le silence avez médité le droit des humains ; l’espoir que le philosophe a conçu à votre réhabilitation dans le ministère ; la joie que le Français fait éclater depuis cet heureux moment me donne cette assurance » (Op.cit., p. 205).. C’est clair le dédicataire n’était autre que Necker rappelé, après une longue éclipse, au ministère en août 1788 sous la pression de l’opinion publique.
Mais un an après son rétablissement, l’aura de Necker sera ébranlée par les évènements révolutionnaires jusqu’à sa démission en septembre 1790. Et Bonaparte, dès l’été 1789, pressentant sans doute cette chute se tournera vers l’abbé Raynal (1713-1796) que lui avait recommandé Paoli.
Grand succès de librairie en son temps, plus philosophe que chaste et dévot, l’abbé Raynal, un temps oublié, est redécouvert aujourd’hui, en particulier sur le continent américain.
L’Histoire philosophique des deux Indes, son œuvre majeure, dans laquelle il emprunte beaucoup, connut un grand succès d’édition. C’est une description encyclopédique des relations commerciales de l’Europe avec le reste du monde, et l’on pourrait dire très schématiquement que c’est un ouvrage, antiesclavagiste, anticolonialiste et altermondialiste avant l’heure. Les retentissements ultérieurs de cette publication contraignirent Raynal à l’exil de 1782 à 1787.
Bonaparte connaissait l’Histoire des deux Indes, et l’avait étudiée. Il en a rédigé des notes de lecture, et, si l’on en croit M.B. Lunet, le Haïtien Toussaint Louverture, futur prisonnier de Napoléon au Fort de Joux, l’avait lu aussi !
Lunet écrit à ce propos : « Quelques années après le jour où Raynal écrivit ces lignes, il se trouva un homme que dévorait dans l’amertume de son âme, l’humiliation de l’esclavage. Cet homme, brûlant d’un feu concentré, avait appris à lire à quarante ans. L’Histoire philosophique tomba entre ses mains ; Dieu sait l’impression qu’elle fit sur lui : quelque temps après cet esclave appelait Raynal son prophète, et faisait, à la tête de ses compagnons d’infortune éprouver des revers aux plus braves généraux de Napoléon ; car on voit bien que c’est de Toussaint Louverture qu’il est ici question » (LUNET M.B., Biographie de l’abbé Raynal (Guillaume-Thomas), Rodez, 1866, p. 18)
Parti d’Auxonne pour son congé en septembre 1789, Bonaparte rencontrera l’abbé Raynal à Marseille, avant de s’embarquer pour la Corse. Chuquet, biographe autorisé de Napoléon Bonaparte rapporte le fait en ces termes : « L’abbé Raynal excitait Bonaparte à produire une histoire de la Corse. Lorsque l’officier d’artillerie vint en 1789 s’embarquer à Marseille il rendit visite à Raynal pour […] l’entretenir de l’ouvrage qu’il projetait de publier (CHUQUET Arthur, La jeunesse de Napoléon, tome 2, Paris A. Colin, 1898, p. 52).
Mettant à profit son séjour en Corse, Bonaparte y acheva la rédaction de ses Lettres, il en confia la mise au net à son frère Lucien qui devait avoir une écriture plus lisible. Dans ses Mémoires, Lucien rapportera le fait : « Napoléon, dans un de ses congés à Ajaccio (c’était, je crois, en 1790) avait composé une histoire des révolutions de la Corse, dont j’écrivis deux copies et dont je regrette bien la perte : un de ces manuscrits fut adressé à l’abbé Raynal, que mon frère avait connu à son passage à Marseille » (Mémoires de Lucien Bonaparte écrits par lui-même, Paris, Gosselin, 1836, tome I p. 92).
En fait le manuscrit ne fut jamais perdu, car il était dans le carton du cardinal Fesch, et fut retrouvé dans le Fonds Libri.
BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse (4) - du 06 septembre 2017
La peine que prit le jeune Lucien ne fut donc pas inutile !
C.S. Rédacteur de Chantecler,
Auxonne, le 12 novembre 2017 (J+3252 après le vote négatif fondateur)
Publié dans Feuilleton 7