BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse n° 10 - du 1er décembre 2017 (J+3271 après le vote négatif fondateur)
01 déc. 2017BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse (10) - du 1er décembre 2017 (J+3271 après le vote négatif fondateur)
Nous reprenons le cours de notre feuilleton car les nouvelles de la presse locale charmoysienne ne sont pas vraiment captivantes ces temps-ci.
Au ciel comme au fil des colonnes, en cette fin de novembre humide et grise, de l’eau, encore de l’eau, toujours de l’eau !… quand les gouttières du toit n’inondent pas les locataires, c’est l’eau qui n’arrive plus au robinet ! Voilà du bon boulot en perspective pour le plombier-zingueur et de la bonne lecture au coin du feu dans nos chaumières. Sans oublier les petits pêcheurs au bord de l’eau et cette libéralité providentielle et discrète qui vient opportunément apporter de l’eau au moulin d’une association caritative. Passionnant et édifiant !
Quittons donc les rives saônoises où l’actualité, comme la Saône paresse, pour retrouver Bonaparte débarquant dans la Corse en pleine effervescence de septembre 1789.
Il y arrive officiellement pour un congé de six mois, mais qui se prolongera bien au-delà, comme nous l’avons déjà vu dans un précédent épisode.
BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse (8) - du 28 octobre 2017
Il n’est pas dans notre intention de narrer dans le détail l’histoire complexe de ce séjour qui, finalement, durera quinze mois !
Chuquet la résume très bien : « en Corse comme en France régnait la Révolution et durant quinze mois Bonaparte allait jouer son rôle dans les troubles de sa patrie » (CHUQUET Op.cit., p. 65). Aux côtés de son frère Joseph, car « les deux Bonaparte s’unirent pour jouer un rôle dans les évènements de Corse », « mais les deux frères étaient trop jeunes pour arriver aux fonctions qu’ils rêvaient » (Op.cit., p. 74-75).
L’activité politique conjuguée des deux frères les conduisit en particulier à Orezza pour un congrès qui devait s’y tenir du 12 au 20 avril 1790 (Op.cit., p. 108). Et c’est justement sur Orezza seulement, que nous jetterons un petit coup de projecteur.
Orezza, nous devrions plutôt dire « l’Orezza » est une pieve, petite division administrative dans l’ancienne Italie. Et sur ce territoire surgit une eau réputée.
Dujardin-Baumetz, dans son Dictionnaire thérapeutique, Paris, Doin, 1889 indique à l’entrée Orezza :
« Le pays montagneux d’Orezza est pittoresque et charmant au suprême degré ; la source est précieuse, certainement la plus forte en fer et la plus agréable à boire des eaux ferrugineuses de l’Europe. […]. Cette eau embrasse dans sa spécialisation tous les états pathologiques dépendant d’une altération de la composition du sang […] en un mot tous les cas où la médication martiale [N.D.L.R. : médication par le fer] se trouve indiquée ».
Sur le territoire de l’Orezza, il y avait aussi un couvent, San Francesco di Piedicroce d’Orezza, aujourd’hui en ruines et qui sera peut-être restauré. Comme tous les édifices franciscains corses, il a servi aussi de lieu de réunions. Et c’est donc là que se tenait le congrès auquel assistait Bonaparte. Le couvent était devenu un haut-lieu de l’indépendance corse puisqu’en 1731 s’y était tenue la grande réunion dite des théologiens qui décida la révolte si le gouvernement génois devait être déclaré tyrannique. C’est là aussi que le 30 janvier 1735, une assemblée proclama l’indépendance de la Corse.
En un mot Orezza lieu d’histoire, ce qui devait enthousiasmer Bonaparte, mais encore lieu de cure indiqué pour les malades atteints de fièvres paludéennes.
C’était le cas de Bonaparte qui relevait de telles fièvres contractées à Auxonne.
Nous avons déjà parlé des fièvres induites par les marécages auxonnais.
BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse (5) - du 17 septembre 2017
Dans le courant du dix-neuvième siècle, on trouve le fait attesté dans les annales médicales.
Mais peut-être convient-il, dans le cas présent de la prolongation de congé de Bonaparte, de ne pas mettre le mal sur le compte du marécage auxonnais. En effet, Masson, faisant référence aux Mémoires de Joseph Bonaparte écrit que Napoléon ainsi que ses frères Joseph et Lucien « attrapèrent [en Corse] des fièvres malignes dont ils manquèrent mourir » et que « Napoléon pour guérir de ces fièvres dut demander une prolongation de congé » (MASSON Frédéric, Napoléon dans sa jeunesse, 1769-1793, Paris, Albin Michel, [1922], pp. 230-231).
Cette référence aux Mémoires de Joseph Bonaparte pose toutefois problème car Joseph y date ces maladies de « 1791 » et mentionne à la ligne suivante « la constitution donnée par la constituante venait d’être proclamée [N.D.L.R. elle le fut le 13 septembre 1791] » (Bonaparte, Joseph-Napoléon (roi d'Espagne). Mémoires et correspondance politique et militaire du roi Joseph , Paris, Perrotin, 1853-54, tome I, p. 43).
Ce détail situerait donc les maladies en fin septembre ou octobre 1791, donc au début du quatrième séjour de Bonaparte en Corse, ce qui ne justifierait donc pas la prolongation du congé en 1790.
Motif réel ou opportun, toujours est-il qu’au milieu du congrès, le 16 avril 1790, Bonaparte fit une demande de prolongation de son congé (CHUQUET Op.cit., p. 109), qu’il obtint. Et avec appointements !
La décision officielle précise :
« Congés avec appointements. 29 mai 1790.
Un congé de 4 mois, à compter du 15 juin, pour le sieur Buonaparte, lieutenant en second au régiment de la Fère.
Produit un certificat de médecin qui constate qu’il a besoin de prendre, dans l’une ou l’autre saison, les eaux d’Orezza, pour rétablir sa santé qui paraît absolument dérangée » (IUNG Th., Op. cit., p. 259).
Comme nous l’avons déjà vu, mettant à profit son séjour en Corse, Bonaparte acheva sa rédaction des Lettres sur la Corse et mettant à contribution son jeune frère Lucien pour la réalisation de copies lisibles. Le 24 juin 1790, il envoyait les deux premières lettres à l’abbé Raynal, annonçant que la suite lui serait portée par son frère Joseph. De retour sur l’île, Joseph rapporta enfin la bonne nouvelle : l’abbé Raynal acceptait la dédicace que Bonaparte lui avait faite de son travail. (IUNG Th., Op. cit., p. 260 et 275).
L’automne approchait, Bonaparte retrouvait à nouveau la charmante Orezza, son couvent San Francesco et sa source ferrugineuse, pour y participer en assemblée aux débats sur la nouvelle administration de l’île et à l’élection de son directoire.
De ce congrès, le Général Paoli, que l’île venait d’accueillir en triomphe, après vingt-deux ans d’exil, devait sortir président du directoire de Corse à l’unanimité des voix. (IUNG Th., Op. cit., p. 277)
Le 15 octobre arriva, et le congé se prolongea encore jusqu’à fin janvier 1791.
Début février, Bonaparte rejoignait enfin Auxonne, accompagné de son jeune frère Louis âgé de treize ans.
Des vents contraires défavorables à un embarquement d’Ajaccio pour le continent avaient été invoqués. En attestaient, à l’appui, des certificats dûment apostillés par la municipalité d’Ajaccio et le directoire du district d’Ajaccio dont Joseph avait été élu président (CHUQUET Op.cit., p. 134).
Tout est bien qui finit, car au bout du compte, le lieutenant ne fut pas puni et obtint même trois mois et demi supplémentaires d’appointements pour la prolongation de son congé. (Commandant Maurice BOIS, Napoléon Bonaparte lieutenant d’artillerie à Auxonne, Paris, Flammarion, 1898, pp. 76-77)
On peut supposer que sa santé bénéficia des vertus curatives de l’eau d’Orezza, mais il est certain que son expérience politique, et de la politique corse en particulier, en sortit grandie, comme nous le verrons bientôt.
C.S. Rédacteur de Chantecler,
Auxonne, le 1er décembre 2017 (J+3271 après le vote négatif fondateur)
Publié dans Feuilleton 7